Al-bay’ah البَيْعَة au cheikh soufi est-elle islamique ?
الحمد لله رب العالمين والصلاة والسلام على نبينا محمد
L’islam est la religion du lien direct entre l’adorateur et son Seigneur, sans intercesseur ni intermédiaire. Le croyant monothéiste sait qu’Allah تعالى est Unique, qu’Il est Le Seigneur, Le Créateur et que tout, en dehors de Lui, est créé, pauvre, faible et impuissant. (1)
Celui qui croit cela comprend que personne ne peut donc prétendre au droit de l’intercession exclusive entre Allah عز وجل et Ses créatures ou prétendre que le cheminement vers Allah تعالى ne peut se faire qu’à travers lui ; car cela revient, en fait, à barrer la route vers Allah تعالى par le biais d’un esprit de caste cléricale (relatif au clergé) entre les gens.
Ces gens, qui imposent cet esprit de caste, s’interposent entre le Créateur et les adorateurs et font preuve d’orgueil. Ils font croire aux gens que l’acquisition de la science, des bons caractères, de la pureté et du statut de wali ne peut se réaliser qu’en leur prêtant serment d’allégeance (al-bay’ah البيعة ) ou en les sacralisant tout en les imitant entièrement. Les éminents Compagnons رضي الله عنهم, les walis et les vertueux, eux-mêmes, n’avaient pas cette prétention alors comment ces gens, qui n’ont pas le niveau des pieux prédécesseurs, osent-ils avoir cette présomption ? !
Ainsi, lorsque le verset « Et avertis les gens qui te sont les plus proches » (26 Les poètes: 214) fut révélé, le Prophète ﷺ se leva et dit : « Ô assemblée de Qouraïch ! Sauvez vos âmes ! Je ne peux rien pour vous devant Allah. Ô enfants d‘Abd Manâf ! Je ne peux rien pour vous devant Allah. Ô ‘Abbâs ibn ‘Abd al-Mouttalib ! Je ne peux rien pour toi devant Allah. Ô Saffiya, tante paternelle du Messager d’Allah ! Je ne peux rien pour toi devant Allah. Ô Fâtima, fille de Mouhammad ! Demande-moi ce que tu veux de mes biens, je ne peux rien pour toi devant Allah. » (al-Boukhârî: 2753 et Mouslim: 206).
La purification de l’âme, au moyen des caractères vertueux, de la haute moralité et des actions pieuses est un combat qui dure toute la vie. Le musulman, qui suit ce chemin, apprend, durant les étapes de sa vie, à être toujours généreux, à agir en faisant preuve de grandeur d’âme, et ce, quelle que soit la situation.
Il apprend également comment atteindre les degrés de l’humilité, de la soumission, (2) d’al-mourâquaba المراقبة ,du détachement الزُهْد, de la piété الورع, de l’espoir الرجاء, de la confiance en Allah تعالى, de l’altruisme, de la pudeur, de la sincérité, de la certitude, de la bienfaisance, de la sagesse, de la relation étroite avec Allah الأُنْس بالله…etc.
Chacun de ces degrés nécessite science, action, patience et contrôle de soi. Parvenir à tout cela ne se limite pas à (suivre) un maître ou un guide car la sagesse est aussi l’objectif du croyant. Sagesse qu’il acquiert en regardant l’univers et les bienfaits d’Allah تعالى envers Ses créatures, en lisant la vie des vertueux, en recherchant la compagnie des gens sincères, en étudiant la religion et, avant toute chose, en réfléchissant et en méditant sur le Livre d’Allah, tout en le mettant en pratique.
En islam, il ne fait aucun doute que la personne qui apprend la religion aux autres, occupe une place importante car elle guide, enseigne et éduque ce qui génère, par permission d’Allah تعالى, des générations musulmanes, instruites dans la religion et éclairées.
Le problème commence en fait, lorsque cet(te) enseignant(e) passe de ce rang élevé à celui d’un être occupant un rang clérical où sont imposés des rites particuliers comme le serment d’allégeance obligatoire (البيعة الملتزمة ) d’obéissance (tout en affirmant que c’est) une obligation faisant partie de la religion et que celui qui va à son encontre est pécheur ou désobéissant.
De cette façon, ce guide s’habille du vêtement de sainteté qui fait que son disciple est, entre ses mains, comme le mort entre les mains de son laveur et s’attache aveuglément à lui ; à tel point que cet adepte s’en remet entièrement à lui, ne le contredit pas, ni même intérieurement…et va jusqu’à penser que dans le cas où son cheikh ferait une erreur, cette dernière lui serait plus utile que s’il ne s’était pas trompé !
Certains affirment que lorsque l’on prête serment d’allégeance au cheikh qui éduque ( pour d’autres, ce sera au leader ou chef d’un mouvement ), ses ordres entrent alors dans le domaine de la sacralisation divine; l’obéissance est donc obligatoire, la désobéissance illicite ; ses ordres sont infaillibles comme ceux de la loi divine !
Il ne fait aucun doute que cette affirmation est fausse car elle innove dans la religion quelque chose qu’Allah تعالى et Son Messager ﷺ n’ont pas légiférée. Personne ne possède le droit d’être obéi obligatoirement sans preuve légale et il n’y a pas de preuve qui accorde, aux ordres de ces personnes, le statut d’obligation légale.
Tout ce qui a été rapporté, comme textes de la chari’a, sur le serment d’allégeance, nous indique que cela signifie prêter serment d’allégeance à l’imam des musulmans qui gouverne les pays et les gens avec justice et droiture. On ne trouve pas, dans la loi divine, de preuve affirmant que les adeptes doivent faire serment d’allégeance, au cheikh ou à l’enseignant, afin de l’écouter et lui obéir. Et cela ne faisait d’ailleurs pas partie de la pratique des Compagnons رضي الله عنهم.
Question 1
Une personne a posé la question suivante au comité permanent pour les fatwas, en disant : « Durant ma jeunesse, je suis parti chez un cheikh soufi et je lui ai dit : ‘’ Je veux entrer dans la voie du cheikh ‘Abd al-Qâdir al-Jîlî ‘’. Il répondit : ‘’ Prête serment ‘’. J’ai donc prêté serment devant lui, ma main dans la sienne et il m’a dit : ‘’ Répète avec moi le serment : Au Nom d’Allah, Le Tout Miséricordieux, Le Très Miséricordieux, Ô Allah ! Prie sur notre maître Mouhammad, sur sa famille et ses Compagnons et adresse-leur Tes salutations ; certes, j’ai l’intention d’entrer dans la voie du cheikh ‘Abd al-Qâdir al-Jîlî, et je vends mon âme à mon cheikh un tel ‘’. Ma première question est : « Est-ce que ce pacte est valide tout en sachant que je me suis repenti à Allah. Et la deuxième : ‘’ Ce serment dure-t-il jusqu’à la mort ?. Renseignez-moi et qu’Allah vous récompense. »
Réponse du comité :
« Ce genre de serment n’est pas valide. Tu as bien fait de revenir à Allah, tu dois te cramponner au Livre d’Allah تعالى et à la sounna de Son Prophète ﷺ, sans faire de serment à aucun des cheikhs des voies soufies (ou autre leader de secte). Vends ton âme à Allah, au lieu de la vendre au cheikh, et attache-toi à la loi divine. Tu n’es pas tenu par le pacte conclu avec ce cheikh car ce serment est une innovation (bid’a) à fuir car le Prophète ﷺ a dit : « Quiconque accomplit un acte (religieux), que nous n’avons pas ordonné, le verra rejeter » (Mouslim). Ton serment fait partie des innovations, il est donc rejeté.
Question 2 (résumé)
Je suis venu de l’Inde, en Arabie, afin de suivre des études islamiques à l’université. Durant mon cursus, j’ai compris que les musulmans de mon pays étaient confrontés au problème très répandu du polythéisme, des voies soufies et des innovations (bid’as). À la fin de mes études, je suis retourné dans mon pays avec la ferme intention d’appeler les gens à Allah, corriger les erreurs infiltrées dans la croyance mais ici, prêter serment d’allégeance aux voies soufies est une chose très répandue. C’est comme si les gens pensaient que celui qui ne fait pas ce serment n’est pas musulman ! C’est pourquoi je trouve beaucoup de difficulté dans l’appel à l’islam…
Réponse du cheikh Ibn Bâz رحمه الله (résumé)
Nous ne connaissons pas de fondement à ce serment d’allégeance sauf celui qui est fait aux dirigeants. Allah سبحانه a certes légiféré de prêter serment d’allégeance au détenteur de l’autorité afin d’écouter et d’obéir dans ce qui est aimé ou détesté, dans la difficulté et la facilité…comme l’ont fait les Compagnons رضي الله عنهم avec le Prophète ﷺ .
Le serment d’allégeance est donc prêté envers les dirigeants (ou des représentants délégués par leur soin), conformément au Livre d’Allah et à la Sounna de Son Messager ﷺ et ceux qui le prêtent doivent dire la vérité où qu’ils soient et ne pas contester les ordres sauf s’ils voient une incrédulité (koufr) évidente…
Quant à la bay’ah, telle que la font les soufis, les uns envers les autres, elle n’a pas de fondement. De plus, elle peut causer des problèmes car celui qui prête ce serment croit qu’il doit obéir à son cheikh dans tout, même si ce dernier dit qu’il faut se révolter contre les dirigeants; alors que c’est une chose répréhensible et illicite.
Celui qui appelle à Allah عز وجل doit expliquer la vérité aux gens, les encourager à la mettre en pratique, les avertir du danger de désobéir à Allah تعالى et Son Prophète ﷺ et les mettre en garde des bid’as, tout en leur disant qu’ils n’ont pas besoin ce lui prêter serment d’allégeance pour cela. Car dans le cas contraire, celui qui fait ce genre de bay’ah croit alors qu’elle est obligatoire envers cette personne; il pense qu’il ne peut pas contredire ses paroles et qu’il doit l’écouter et lui obéir comme s’il s’agissait d’un détenteur de l’autorité ! Ce qui provoque division, discorde et conflits entre les musulmans…(3)
Conclusion
Le soufisme (et d’autres sectes) ont détourné le sens de la bay’ah afin d’en faire un moyen de manipulation (4) Les responsables de ces groupes font croire à leurs disciples que prêter serment d’allégeance (nommé parfois ‘’ prendre l’initiation’’) au cheikh (ou au chef d’une secte) est une obligation et qu’il est ensuite illicite de leur désobéir.
Ce pacte facilitera ensuite l’apprentissage des erreurs car le pauvre disciple se sentira obligé de tenir son engagement, il n’osera pas critiquer son cheikh, et ce, quoi qu’il dise ou qu’il fasse ! Il appartient donc au musulman d’être vigilant et de s’informer afin de discerner le vrai du faux. oummatoukoum, le 22 Cha’bâne 1442/ le 4-4-2021.
والله تعالى أعلم
Références :
(البيعة الملزمة من المريد للشيخ ليس من الدين (1 : ICI (le serment d’allégeance obligatoire au cheikh ne fait pas partie de la religion)
(2) Al-mourâquaba signifie que le musulman se rappelle toujours qu’Allah le voit et qu’Il sait tout de lui.
Voir à ce sujet l’article « ما معنى المراقبة ؟ Que signifie al-mourâquaba ? » : ICI
Le détachement (a-zouhd الزهد ) signifie ne pas s’attacher à la vie d’ici-bas الدنيا et ne pas la préférer à la vie future الآخيرة mais il ne signifie pas renoncer à la vie d’ici-bas et à l’action. Non, on doit agir, travailler afin de se passer (de l’aide) des gens. Il faut agir, travailler pour les enfants, les parents, faire le bien, aider les autres mais la vie future doit rester notre plus grande préoccupation. On accomplit les prescriptions d’Allah تعالى , on renonce à Ses interdits, on agit en vue de la vie future tout en faisant bien attention à ce que la vie d’ici-bas ne nous détourne pas de celle de l’au-delà comme c’est le cas pour la plupart des créatures.
Voir l’article « ما معنى الزهد وحقيقته ؟ » : ICI
(3) حكم إعطاء البيعة لغير ولي الأمر : ICI ( Prêter serment d’allégeance autre qu’au dirigeant)
Prêter serment d’allégeance à d’autres en dehors des gouverneurs officiel : ICI
(4) Pour s’informer sur d’autres méthodes de manipulation, voir les articles :
Les Qubeissiats : la manipulation des adeptes : ICI
Pourquoi autant de sectes ? : ICI
Soufisme et magie (1 et 2) : ICI et ICI


